L'âme d'un dominant. [CLOSE]

Le vent soufflait en rafale dans l'épaisse fourrure argentée du loup, y dessinant de petites vagues rapides et fougueuses.
L'animal se baladait en solitaire, d'une démarche souple et calme, ses membres étant lourds comme du plomb suite à sa course effrénée dans la Plaine Verdoyante.
Cyrus débarqua bientôt devant une tumultueuse rivière et s'allongea sur la berge, posant son museau sur ses pattes avant.
Désormais, il ne s'agissait plus de Cyrus le vagabond tourmenté, mais bien de Cyrus le dominant, mâle alpha des Terres de l'Ouest de Gris Poils.
Il avait atteint ce rang de manière assez hasardeuse : arrivé sur ce nouveau territoire quelques jours seulement auparavant, il avait fait la rencontre d'une petite meute dépourvue de toute forme d'autorité, le précédant dominant ayant disparu mystérieusement.
Ayant toujours eut un goût prononcé et une facilité à commander les autres durant sa petite enfance, le jeune loup avait sauté sur l'occasion.
C'était un animal robuste et courageux, avec un bon esprit de stratège, aussi ce rôle lui seyait à merveille.
Evidemment, il lui faudrait travailler un peu son comportement social.
Mais il avait tout son temps.
De plus, cette nouvelle responsabilité lui permettrait pet-être de ne plus trop penser à ses sombres souvenirs et aux éléments de souffrance de son passé.
Le coeur apaisé pour la première fois depuis longtemps, Cyrus contempla son reflet dans l'eau cristalline : celui d'un beau loup gris, tout en muscle, au profond regard mordoré.
Bercé par le doux clapotement du liquide translucide, il se permit un petit somme, néanmoins prêt à bondir au moindre signe de danger.

Un mince craquement dans les fourrés bordant la rive : il n'en fallut pas plus pour venir troubler le sommeil de Cyrus, qui releva sa grosse tête, intrigué.
L'odeur d'un autre loup -une femelle- parvint rapidement aux narines frémissantes de l'alpha.
Ce dernier ne bougea pas, se contentant d'émettre un grondement sourd, venu du plus profond de sa cage thoracique.
Il attendit patiemment que l'inconnue se montre, poils hérissés le long de sa colonne.

Une belle louve blanche émergea finalement de la végétation.
Elle semblait douce et timide, pas bien dangereuse en gros.
Elle murmura un salut à peine audible, fuyant le regard de l'alpha.
- Salut, répondit simplement Cyrus.
Il la contempla d'un air qu'il voulait le plus aimable possible.

Cyrus lut l'indécision dans le regard cobalt de la belle louve blanche.
Car, oui, le jeune mâle la trouvait fort à son goût.
Il tenta de tempérer ses ardeurs de serial-loveur.
Il ne fallait pas qu'il s'attache, il ne fallait plus.
Le gros loup gris n'avait que trop souffert de la perte des êtres chers à son coeur.
Et, depuis ces temps de malheur, il s'était fait la promesse de ne plus s'amouracher de quiconque.
Rester de marbre, éviter l'amour comme l'amitié.
Pour toujours avancer, aller de l'avant.
Et oublier...
Mais tout de même, un mec, quelle que soit la race, reste un mec !
Cyrus revint brutalement à la réalité : l'inconnue s'était rapprochée imperceptiblement, faisant preuve de beaucoup de prudence.
Quand elle s'exprima, d'une voix douce et enjouée, le jeune alpha l'écouta attentivement.
Permaisuri.
Quel joli nom !
Meute du Nord ?
Mmh, dommage... voire tant mieux, vu sous un certain angle.
- Cyrus, annonça-t-il en retour. Je suis alpha des Terres de l'Ouest.

La question de la louve prit un peu Cyrus au dépourvu.
Il n'avait pas songé à cela.
Il est vrai qu'un alpha se devait de chasser les intrus de son territoire afin de protéger les siens et de se faire respecter.
Mais cette Permaisuri n'avait pas l'air bien méchante et semblait dépourvue d'intentions hostiles à son égard.
- Non, ça ne me dérange pas, répondit le mâle dominant d'un ton neutre. Mais, bon évite d'en parler. Je ne veux pas que l'on pense que mes terres sont les portes ouvertes à tout individu...
Après tout, lui ne se gênait pas pour vadrouiller à sa guise sur les territoires des meutes voisines.
Après un moment de silence, il ajouta :
- Tu viens d'où ? Je veux dire, tu vivais où, avant ?
Suite à sa demande plutôt personnelle, le gros loup se mordit la babine.
Lui détestait qu'on évoque son passé.
Alors pourquoi diable faisait-il subir ce qu'il haïssait au plus haut point à cette louve ?
En tout cas, il espérait sincèrement qu'elle ne lui retournerait pas la question.

La louve blanche eut un court instant d'hésitation.
Comme Cyrus s'en doutait, cette question plutôt personnelle la gênait.
Quand elle répondit, le jeune alpha eut un petit rictus semblable à une moue.
Cela l'étonnerait fortement qu'elle raconta la vérité.
Il décida de ne pas lui tenir rigueur de ce possible mensonge, mais grinça des crocs quand elle lui retourna la question.
Cyrus réfléchit à toute allure, cherchant un bobard plausible.
- Mmh... Et bien, à peu près comme toi... Oui, je vagabondais.
Cette réponse contenait une part d'exactitude, après tout.

La louve l'écouta sans l'interrompre ni émettre d'objection, léchant patiemment sa fourrure.
Il était évident qu'elle ne le croyait pas plus que lui ne l'avait cru, mais Cyrus s'en moquait.
Soudain, Permaisuri se redressa, lui annonçant qu'elle se devait de retourner sur son propre territoire.
- Très bien. Moi aussi je suis content de t'avoir rencontrer, lança-t-il avec son tact habituel, mais toutefois avec beaucoup de sympathie.
Car, oui, malgré son caractère de sauvageon un peu asocial, il éprouvait un semblant d'estime pour cette jolie louve à la fourrure de neige, et l'appréciait malgré le peu de temps qu'il l'avait connue.